Je (mon moi) crois être le centre de ma personnalité. Je crois prendre des décisions, agir toujours en connaissance de cause. Ce n’est pas aussi simple. Je suis (mon moi est) sous influence. Nous sommes conditionnés par tout un ensemble de forces, d’entités plus ou moins indépendantes les unes des autres dont l’ensemble est ce que nous avons coutume d’appeler l’inconscient. Parfois nous les ressentons vaguement car n’étant pas en accord avec elles cela crée en nous un conflit qui se traduit par un malaise, une sensation pénible dont nous essayons de nous débarrasser.
Cet inconscient que nous ne connaissons pas mais que nous pouvons parfois percevoir indirectement par ses manifestations : malaises, symptômes, rêves, visions, voix, synchronicités … peut être décrit comme étant composé d’une multitude de couches en contact les unes avec les autres comme celles d’un oignon. La couche la plus extérieure serait notre conscience qui est en contact d’un côté avec le monde extérieur que nous appelons souvent le réel et de l’autre côté avec ce que Jung a appelé notre inconscient personnel. Cet inconscient personnel contient en particulier ce que nous avons vécu et qui est oublié, ce que nous avons vécu et refoulé car à l’époque c’était insupportable… Puis en allant vers le centre de l’oignon une infinité de couches faisant partie de l’inconscient collectif : l’inconscient familial, l’inconscient du territoire, du pays, du continent (ou groupe de pays), de l’animal en nous, pour aller vers un inconscient très profond, très ancien qui est commun à tous les êtres …
Ces couches ne sont pas figées, ne sont pas séparées de façon hermétique. Ce que nous avons oublié ou refoulé peut revenir à la conscience, de même que des éléments provenant de l’inconscient collectif sachant qu’il est probable que les couches les plus profondes ne pourront jamais être rendues conscientes. La conscience ainsi que toutes les couches inconscientes forment notre totalité, notre personnalité intégrale, notre Soi.
L’inconscient familial est ce que pensent les parents, les personnes proches de l’enfant, ou ce qui motive leurs actes sans qu’ils en soient conscients. C’est la couche de l’inconscient collectif qui est la plus proche de la conscience. Par ce qu’ils sont dans la vie, ces proches transmettent automatiquement à l’enfant qui vit dans leur environnement, cette partie inconsciente en eux. Mais pas seulement ce qui leur est personnel. Également l’inconscient de leur territoire, de leur époque… « Tiens-toi droit, ne mets pas tes coudes sur la table, tes doigts dans ton nez, tu dois travailler à l’école »… Il n’y a pas de jugement de valeur dans ces quelques exemples peut-être un peu dépassés, donc plus visibles.
L’accueil des rêves permet de dévoiler certaines de ces influences inconscientes qui nous dirigent et de se positionner consciemment sur celles que nous acceptons et celles que nous refusons. En voici quelques exemples :
Rêve – Des mariées alignées
Dans une ville, une place. Sur cette place des mariées sont alignées. Je distingue mal, il y a du brouillard. Les femmes sont figées comme dans un arrêt sur image. Je passe devant elles, rapidement pour ne pas les déranger et vais vers la droite à l’autre bout de la place. Là je me mets à expectorer des glaires.
« Je distingue mal, il y a du brouillard. » Cela signifie que la prise de conscience n’est pas encore très nette, précise. Pourquoi ces mariées alignées? Quand on demande à la rêveuse ce que cela lui évoque elle répond qu’elle pense au mariage de sa mère. De ce qu’on a pu lui dire, car elle n’était pas née, c’était un très beau et grand mariage comme dans les contes de fées. Durant toute son enfance on lui a répété (sa mère en particulier) cette belle histoire qui est devenue la belle histoire de la famille. Une famille de rêve où on s’entendait bien, on était heureux … Et forcément l’idéal des enfants était qu’un jour ils trouvent le conjoint (ou la conjointe) ayant toutes les qualités requises pour pouvoir continuer ou reproduire cette belle histoire. C’est ce qui semble s’être réalisé chez ses frères et sœurs si on en reste aux apparences mais pas pour la rêveuse. Très vite elle a vu, senti que tout cela n’était qu’une belle histoire et que tous les évènements qui ne pouvaient justifier ce bonheur étaient écartés, niés. Elle est devenue le petit canard boiteux de la famille, celui qui dérange, que l’on écarte. En fait celui qui représente tout ce qui est nié. Sa vie a été souvent tout le contraire de ce qui était bien vu dans la famille. Cette belle histoire imposée inconsciemment est bien représentée par cet alignement de mariées qui pourrait faire penser à un peloton d’exécution. Les mariées « sont figées comme dans un arrêt sur image ». C’est le moment de la prise de conscience. La rêveuse ne veut pas les déranger ce qui signifie qu’elle aussi tient à cette image. Elle aussi a été profondément marquée par elle bien qu’elle ressentait qu’elle était contre sa nature. Elle se met « à expectorer des glaires ». Cette « belle image de bonheur parfait » lui encombre les poumons, l’empêche de respirer. Elle a besoin de s’en débarrasser pour être elle-même.
Voici un rêve qu’elle a eu 3 semaines plus tard :
Rêve – Le couple gêne
Dans une entreprise la rêveuse travaille dans un bureau. A un moment elle a dû s’absenter. Quand elle revient un couple a pris sa place. Irritée elle va voir le directeur pour se plaindre mais celui-ci dit ne pas pouvoir la recevoir car il est pris par un couple.
Dans ce rêve, par deux fois un couple gêne. Le 1er l’empêche de travailler par elle-même car il travaille à sa place. Le travail peut être vu ici comme tout ce qu’elle peut réaliser dans sa vie. Parfois ce couple, qui est une partie inconsciente d’elle-même, une ombre, la belle image du couple idéal, prend sa place et l’empêche de s’exprimer.
Elle veut se plaindre auprès du directeur. Cela signifie qu’elle commence à prendre conscience que ce couple prend sa place et la gêne. Mais un autre couple, qui représente toujours la belle image du couple idéal, l’empêche de parler au directeur.
Voici un rêve de la même rêveuse qui avait précédé de quelques semaines le 1er rêve de cet article.
Rêve – Derrière la maison familiale il y a la mer
Je marche seule sur un chemin. Derrière moi un groupe de personnes qui marchent également sur ce chemin. J’arrive à une belle maison campagnarde près de laquelle il y a une piscine. Les propriétaires se baignent dans la piscine. Derrière la maison j’aperçois la mer mais je ne peux aller plus loin.
La rêveuse marche seule sur un chemin. C’est son chemin personnel, le chemin de sa vie (voir l’article « Il n’y a qu’un seul chemin et c’est votre chemin » C.G. Jung dans « Le livre rouge »). Un groupe de personnes est juste derrière elle. On dirait que la recherche de son chemin personnel est très récente ou qu’en elle la tentation est encore grande de suivre le chemin des autres. Quand on demande à la rêveuse à quoi lui fait penser cette belle maison campagnarde elle répond immédiatement : la maison de mon enfance, la maison de mes parents. Dans le rêve cette maison semble idyllique. En pleine nature, belle. Les propriétaires prennent du bon temps en se baignant dans la piscine. Dans la réalité la maison de son enfance est aussi associée à une plénitude même si par ailleurs elle critique la « belle image de bonheur parfait ». Mais pour l’instant son chemin s’arrête à cette maison. La mer est cette source infinie de vie, cette profondeur en elle qui correspond aux couches les plus anciennes de l’histoire de l’humanité. Cette maison est l’obstacle (comme les couples dans le rêve précédent) qui empêche d’accéder à la mer mais elle est aussi le seul moyen d’y accéder. La rêveuse ne peut la rejeter et chercher un autre chemin. Son chemin à elle passe par cette maison. Elle doit la traverser car cette maison est une partie de son chemin.
Il nous faut aborder ici l’ambiguïté de l’expression « prendre conscience ». Depuis longtemps la rêveuse savait qu’elle subissait une pression pour qu’elle vive cette « belle image de bonheur parfait » véhiculée par sa famille. Elle la combattait en orientant son combat, ses pensées vers sa famille. « C’est à cause d’eux ». Elle ne se rendait pas compte que depuis qu’elle n’était plus une enfant, qu’elle ne vivait plus avec sa famille, que la pression était toujours là imposée principalement par une partie inconsciente en elle. Accuser les autres ne servait plus à rien au contraire cela la détournait de la vraie démarche. Il fallait qu’elle se regarde elle-même, qu’elle ressente, non seulement avec sa pensée rationnelle mais aussi avec son intuition, son sentiment…, son corps, que cette belle image était en elle. Ses rêves l’ont aidée à cette prise de conscience qui n’implique pas seulement son mental, son intellect. Le résultat est qu’elle se sent de plus en plus elle-même, autonome, séparée de sa famille. Cela lui permet naturellement, sans qu’elle ne fasse aucun effort, d’être plus en contact avec sa famille. Elle est en train d’aller vers la mer en traversant sa maison familiale.
Il faut noter que cette belle image du couple traditionnel, de cette famille unie tant désirée, n’est pas réservée à la famille de cette rêveuse. Elle vient d’une couche beaucoup plus profonde que l’inconscient familial même si elle se transmet par lui de façon très différente suivant les familles. Elle est associée à une peur de la solitude, un besoin d’être en lien avec les autres. En général ce lien avec les autres n’est compris que dans une orientation extérieure. Les autres ce sont notre famille, nos amis, nos voisins… Or nous ne voyons pas que ce besoin est l’image d’un besoin intérieur plus profond qui est d’être en lien avec l’inconscient, avec soi-même. Cet inconscient est représenté dans les rêves par les nombreux personnages que sont notre famille, nos amis, nos voisins… Il faut rappeler que ces personnages des rêves sont les images (les symboles) des personnes que nous connaissons dans la vie extérieure mais aussi celles de parties inconscientes en nous-même.
La citation suivante du Dalaï lama exprime d’une autre façon la réalité de ce qui précède :
Tant que vous pensez que tout est la faute des autres, vous souffrez. Quand vous réalisez que tout prend naissance en vous, vous pouvez alors cheminer vers la paix et la joie.
Voici deux autres rêves d’une personne qui n’avait pas du tout le même rapport avec sa famille.
Rêve – Est-ce que je peux, est-ce que je dois prendre mon bain?
Dans une pièce ronde, un jacuzzi de forme ronde également. Je suis nue sous un drap. La pièce n’est pas complétement fermée. Je ne sais pas si je peux ou dois me mettre dans le bain. Par la suite je parle avec mes tantes. Elles m’imposent des comportements comme quand j’étais jeune. Je me révolte, j’hurle …
Ce jacuzzi de forme ronde c’est la chaleur, le bien être, la détente. Pour cela il faut que la rêveuse suive sa nature, qu’elle soit nue. Mais il y a des difficultés. La pièce n’est pas complètement fermée. La rêveuse semble être surveillée probablement par ses tantes. Elle n’ose pas, elle a besoin de l’assentiment de ses tantes. Mais elle a probablement très envie de ce bain. Alors elle se révolte, elle hurle pour se libérer de l’emprise de cette partie inconsciente en elle qui est représentée par ses tantes.
Cette rêveuse a toujours parlé d’une façon très positive de ses tantes. Elle est toujours très heureuse de les rencontrer, d’échanger avec elles. Ce sont des moments précieux pour elle. Et puis à propos de ce rêve et d’autres dans la même période elle a dit, reconnu, que quand elle était jeune ses tantes lui imposaient souvent ce qu’elle devait penser ou faire. Et sa révolte a commencé. Pas une révolte extérieure contre ses tantes car leur oppression n’était plus (ou peu) présente mais une révolte en elle-même qui exprimait une prise de conscience nouvelle.
Le rêve suivant montre encore sa dépendance inconsciente par rapport à sa famille.
Rêve – La maison que j’ai achetée ne me plaît pas
Avec mon mari et des tantes nous allons visiter la maison que je viens d’acheter. Je la découvre. Elle n’est pas comme je l’avais vue précédemment. Elle est vieillotte, sympa mais décalée. Cela ne va pas. Rien à voir avec celle que nous avons achetée. Je suis embêtée par rapport à ma famille. Qu’est-ce qu’ils vont penser? Une de mes tantes est allongée dans le jardin. Il fait très chaud, l’herbe est très sèche. Ma tante fait un malaise. je suis très mal.
La rêveuse découvre que la maison qu’elle vient d’acheter ne correspond pas à celle qu’elle a achetée. On dirait que son inconscient lui a joué un tour comme cela peut nous arriver quand nous faisons des actes ou avons des paroles qui ne nous ressemblent pas (« nous » c’est-à-dire notre moi conscient). Visiblement sa famille, ses tantes et surtout celle qui a un malaise, ne sont pas d’accord avec cet achat. La rêveuse est très mal, il y a un conflit entre la partie en elle représentée par sa famille et une autre partie d’elle même. Mais quand on lui pose la question : « et si tu avais réellement acheté cette maison ? » Elle répond : » je ne pourrais pas la laisser comme cela, je la modifierais pour qu’elle me convienne, pour qu’elle soit vraiment la mienne. » Nous voyons donc que dans ce rêve elle semble avoir fait une partie du chemin pour se libérer de l’emprise de ses tantes. Est-ce suffisant ? Nous ne le savons pas. Par contre nous savons que la maison achetée ne plaît pas aux tantes mais n’est pas non plus celle qui convient à la rêveuse. Il lui faudra encore faire des travaux (en elle) pour que sa maison soit vraiment la sienne. L’achat de cette maison qui n’est pas totalement satisfaisante était un premier pas.
Les rêves nous montrent que quel que soit ce qui s’est passé concrètement dans notre enfance nous sommes toujours conditionnés par des parties inconscientes en nous qui proviennent de notre milieu familial. Il n’est pas possible de se débarrasser de son passé et surtout ce n’est pas souhaitable. La prise de conscience de ce qui reste inconscient, que ce soit vu par nous comme positif ou négatif, nous permet de devenir libre d’avancer sur notre chemin personnel. Cette vraie liberté ne nous éloigne pas de notre famille au contraire elle nous permet de nous en rapprocher tout en étant indépendant. C’est ce qui se passe concrètement dans la vie de ces deux rêveuses. Les prises de consciences successives induites par leurs rêves les ont rapprochées de leurs familles.
Le fait de vivre suffisamment longtemps dans notre milieu familial nous a transmis inconsciemment tout un ensemble de pensées, comportements qui nous conditionnent jusqu’à ce que nous en prenions conscience. Cela est aussi vrai pour tous les milieux dans lesquels nous vivons. Il y a l’inconscient du territoire, du pays… mais aussi plus proche de nous celui des groupes que nous fréquentons : Groupes d’amis, entreprise, associations, partis …De la même façon que les rêves nous aident à nous libérer du conditionnement familial ils peuvent nous aider à nous libérer du conditionnement d’autres groupes ce qui ne veut pas dire que nous les rejetterons forcément. Notre lien avec eux ne sera plus (ou moins) dépendant de notre peur de la solitude.